Jean-Louis Fernandez

Baùbo, de l'art de n'être pas mort

Le mot du comité écothèque

Lié au déploiement d'une ressourcerie, d'un atelier et d'un programme de formation au sein du lieu de production, ce spectacle appartient à une expérimentation triennale 2022-2024 d’un projet d’économie circulaire appliquée à la création scénographique. Dans ce cadre, la conception de châssis réutilisables a été conduite avec l'atelier de construction de la MC93 de Bobigny, à laquelle s'ajoute le réemploi d'accessoires, mobiliers et costumes.

Publié par Jean Lynch, Quentin Rioual le 28/03/2024, mis à jour le 29/03/2024


Type de projet

Domaine artistique

Arts vivants

Régions

Île-de-France

Description du projet

Baùbo - de l'art de n'être pas mort est une pièce de Jeanne Candel, créée en janvier 2023, produit par la vie brève et mis en scène par Jeanne Candel, codirectrice du Théâtre de l'Aquarium. À partir de ce projet situé et mobilisant tout le théâtre, l'ambition était de développer des savoir-faire au sein d'une équipe artistique, technique et administrative directement reliée au lieu de production et de fabrication.

Photos

  • © Jean-Louis Fernandez

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Acteur·rice du projet

Sont mis en avant les membres du Lab qui ont participé à la rédaction de cette fiche, mais l’équipe projet est plus vaste.

Éco-responsabilité du projet

0 Concevoir ensemble
1 Sélection des matériaux ayant le moins d’impact
2 Réduction de la quantité de matière
3 Optimisation des techniques de production
4 Optimisation de la logistique
5 Réduction de l’impact environnemental de la phase d’utilisation
6 Optimisation de la durée de vie du projet
7 Optimisation de la fin de vie du projet

© studio dazd – Augures Lab Scénogrrrraphie, d'après la roue de Brezet

0

Concevoir ensemble

1

Sélection des matériaux ayant le moins d’impact

2

Réduction de la quantité de matière

3

Optimisation des techniques de production

4

Optimisation de la logistique

5

Réduction de l’impact environnemental de la phase d’utilisation

6

Optimisation de la durée de vie du projet

7

Optimisation de la fin de vie du projet

Qu’est-ce qu’une démarche d’écoconception ?

L’écoconception répond à un cadre strictement défini par une norme et dont l’objectif est “d’obtenir un produit ou un service qui répond à un besoin fonctionnel et dont l’impact environnemental a été réduit de façon significative” (Pôle Écoconception). S’inscrire dans une démarche d’écoconception est une manière de tendre vers cet objectif dans un cadre autonome, plus adaptable et accessible. Tous les projets référencés ne sont pas considérés comme “écoconçus” au sens de la norme, mais comme “inspirants” au sens de l’intérêt de la démarche pour réduire ses impacts à différentes étapes du cycle de vie.

Pourquoi la roue de l’écoconception ?

La roue de Brezet est un outil stratégique couramment utilisé pour construire et analyser une démarche d’écoconception : il s’agit de donner un cadre de pensée autour des impacts en amont, pendant l’usage et en aval d’un projet. Plus précisément : le cercle intérieur définit le cycle de vie du projet ; le cercle extérieur définit les stratégies d’écoconception à chacune de ces étapes du cycle de vie. Pour un axe stratégique, plusieurs actions peuvent être mises en place. Les projets référencés vous en présentent quelques-unes, pour inspiration et partage d’expérience.


Vous trouverez ci-dessous l’évaluation de ce projet selon l’approche Brezet, regroupant les différents critères pris en compte et leur explication pour chaque axe de l’approche.

0. Concevoir ensemble

Mobilisation des métiers

Pour instaurer une approche de fabrication responsable au cœur de la création de Baùbo, divers professionnels aux compétences complémentaires ont été sollicités : Gaëlle Kikteff, consultante, cheffe de projets et formatrice en Économie Circulaire et Design Circulaire ; Chef.fes de projet spécialisé.es dans l'accompagnement à la fabrication responsable au sein de la vie brève (Cindy Varin puis Jean Lynch) ; Lisa Navarro, scénographe ; Pauline Kieffer, créatrice costumes ; Sarah Jacquemot-Fiumani, régisseuse générale ; Maurizio Moretti, chef d'atelier de construction à la MC93. Cette collaboration a permis d'engager une démarche cohérente et réfléchie pour intégrer des pratiques durables tout au long du processus de création de Baùbo, sous l'impulsion des trois codirectrices du lieu et de la compagnie : Jeanne Candel, Élaine Méric et Marion Bois.

Sensibilisation des équipes

Dans le cadre du projet général de fabrication responsable de la vie brève - Théâtre de l'Aquarium, les équipes artistiques, administratives et techniques ont toutes été sensibilisées et associées à la démarche de réduction des impacts environnementaux. Le projet général est accompagné par une assistante à maîtrise d'ouvrage spécialisée dans l'économie circulaire appliquée au secteur culturel.

Programmation engagée

La programmation du lieu met l'écoconception en avant à plusieurs titres : sensibilisation des équipes en résidence, co-organisation des Atelierrrrs de l'Augures Lab Scénogrrrraphie, ateliers pratiques d'upcycling du stock de costumes, visites des ateliers et de la ressourcerie, stages de transmission auprès d'étudiant·es...

Temps adapté à l'écoconception

La sensibilisation des équipes et le positionnement d'une cheffe de projet Écoconception a permis d'anticiper le réemploi de stocks. Initialement, l’ambition était de valoriser par le réemploi des châssis de la ressourcerie, issus d’anciennes productions de la vie brève et du Théâtre de l’Aquarium. Pour ce faire, Sarah Jacquemot-Fiumani (régisseuse générale) a transmis les plans et cotes d’une sélection pertinente de châssis existants au constructeur choisi : Maurizio Moretti, chef des ateliers de construction de la MC93. Toutefois, les châssis étant de tailles différentes, de techniques d’assemblage diverses et en nombre insuffisant, la valorisation fut jugée très coûteuse en main d'œuvre. Elle fut également jugée peu efficiente d’un point de vue écologique car, en dépit du temps passé pour les remettre en état, ces châssis n’allaient pas pouvoir être réemployés dans un autre projet. Ces observations ont conduit à un arbitrage. Suite à une concertation entre l’équipe artistique et le constructeur, il a été décidé de construire des châssis neufs dans l’optique qu’ils puissent être réemployés. En parallèle, les châssis du stock de décor de la ressourcerie du théâtre ont été achetés par la MC93 pour être réutilisés par le constructeur pour un autre projet — ce dernier étant moins exigeant au niveau de la résistance des matériaux et de l’esthétique que Baùbo. Ce rachat des châssis en stock, envisagé par le constructeur lui-même, a permis de compenser le surcoût lié à la conception et la fabrication de châssis réemployables pour Baùbo.

Renoncement

Après l’hypothèse d’une boîte scénique, Jeanne Candel prend la décision de simplifier radicalement le projet scénographique : il sera essentiellement composé d’un mur droit mobile sur lequel il est possible de grimper, et de quelques pièces de mobilier. Le choix de la metteuse en scène relève d’un principe de réduction, même si celle-ci souligne qu’il n’y avait là ni “compromis”, ni “renoncement malheureux” dans la mesure où le geste artistique n’était pas diminué de son point de vue.

1. Sélection des matériaux ayant le moins d’impact

Matériaux issus du réemploi ou de la réutilisation

Considérant la totalité des éléments scéniques, l’approvisionnement en matière (hors costumes, comptabilisés par unités) provient de trois sources, classées ci-après dans l’ordre inverse de quantité : - la seconde main (achat) pour 102 kg de matière ; - la ressourcerie du Théâtre de l’Aquarium (réemploi) pour 422 kg ; - le neuf (achat) pour 2400 kg. L’effort substantiel de réemploi est pondéré par une large majorité d’achats, elle-même pondérée par de nombreuses perspectives de réemploi en fin de vie.

Matériaux issus de ressources renouvelables

Commun pour un décor, le choix du matériau principal s’est porté sur le bois. L’approvisionnement en bois a été anticipé par des visites de stocks de deux ressourceries (MC93 et Théâtre de l’Aquarium). L’absence de bois adapté au projet de décor conçu a conduit à l’approvisionnement en bois de peuplier neuf d’origine française et en bois d’okoumé d’origine non-européenne auprès du groupe Ratheau. Le constructeur étudie actuellement la possibilité de remplacer l’okoumé par un bois d’origine européenne voire française.

Matériaux recyclés

La peinture destinée aux châssis a été commandée à Circouleur, groupe qui a créé en France la première filière de recyclage des peintures. Grâce à cette filière, Circouleur propose un impact environnemental divisé par 12 par rapport à une peinture issue de filière classique, d’après le fabricant.

2. Réduction de la quantité de matière

Réduction du poids et/ou du volume de matière

La quantité de matière a été réduite par rapport au projet initial mais non dans le projet final en tant que tel. En effet, la technique utilisée pour la fabrication des châssis de Baùbo a été entièrement développée par le constructeur. Pour y parvenir, celui-ci a dû utiliser deux fois plus de bois que pour un châssis traditionnel afin d'en assurer la durabilité. En revanche, pour minimiser les chutes de production, réduire les coûts, et optimiser la logistique et le transport, le constructeur a utilisé la méthode du calepinage et a suggéré une réduction de la hauteur des châssis. Si cette réduction de la hauteur des châssis a généré des craintes en termes esthétiques (proportion châssis/boîte de scène, écart fenêtres hautes et bord haut du châssis), elle a été acceptée pour ses nombreux avantages. Par rapport au projet initial, la quantité de matière a en outre été réduite grâce à : - la suppression des rideaux ; - la simplification du mur initialement non linéaire ; - la réduction de la hauteur des châssis pour correspondre à des cotes normées limitant les chutes et la quantité de matière utilisée. Les étapes de construction ont été réduites et rassemblées dans un seul espace de construction : l’atelier de construction de la MC93.

3. Optimisation des techniques de production

Réparable

Le constructeur des châssis a renforcé la structure de sorte à en assurer la durabilité et la réparabilité. Il a été évalué par le constructeur que c’est à partir du 3e réemploi que les châssis commenceront à posséder un meilleur impact environnemental que des châssis conçus et fabriqués pour un seul cycle de vie.

Modulaire

Il a privilégié une structure modulaire afin de permettre un ensemble de combinaisons et une adaptation à divers usages. En cela, le design des châssis est apte à évoluer avec plus ou moins de châssis.

Séparabilité des matériaux

Le désassemblage des éléments a été pensé de façon à être facilité : chaque élément est mono-matériau et a été conçu pour se détacher d’un autre élément. Tous les assemblages se font par vis ou par liaison bois/bois.

4. Optimisation de la logistique

Transport optimisé

La conception des châssis a permis une réduction de la taille de stockage du décor donc de la taille du mode de transport, grâce à la réduction de la taille des châssis et grâce à un système d’encastrement imaginé par le constructeur. En revanche, pour assurer le réemploi du décor sur plusieurs projets, les châssis ont été renforcés en bois. Cela a donc une incidence sur le poids du décor à transporter. La quasi intégralité des voyages de l’équipe en tournée se fait par train. La seule exception a concerné un interprète habitant à Berlin (mais dont les déplacements sont parfois mutualisés pour des animations d’atelier) ou l’exploitation à Spoleto (IT), jugée trop lointaine pour un voyage par voie ferroviaire. De manière générale, suivant les usages du spectacle vivant dans le secteur public, chaque représentation ou série de représentations donne lieu à une diversité d’actions autour du spectacle : rencontres d’après spectacle avec le public (bord plateau), rencontre avec des lycéen·ne·s, ateliers de découverte du processus de création, visites tactiles du décor autour des représentations en audiodescription… Autant de rendez-vous qui tirent parti de la présence de l’équipe dans le lieu de diffusion.

Déplacement des artistes optimisé

Le spectacle est toujours vendu avec un minimum de 2 représentations. L’équipe de production encourage financièrement les séries afin de maximiser les déplacements du décor et des équipes. L’équipe de production cherche à planifier des mutualisations dans le circuit de tournée mais elle relève que c’est une pratique difficile. Celle-ci repose aussi sur la possibilité d’accorder les emplois du temps des équipes en tournée et des différents lieux susceptibles d’accueillir le spectacle.

Mutualisation des transports

Hors exploitation, le décor est stocké dans les entrepôts du transporteur, Erima, à Joigny (03). Cela permet de diminuer les trajets du camion en évitant un trajet supplémentaire vers le Théâtre de l’Aquarium pour charger le décor avant de partir vers la destination de tournée. On notera en particulier qu’entre la dernière représentation à Dijon le 17 décembre 2023 et la reprise du spectacle le 02 février 2024, une anticipation a permis de prévoir le stockage au Théâtre de l’Aquarium même, sans retour vers les entrepôts du transporteur. À l’inverse, l’entretien des costumes nécessitant du temps, celui-ci ne peut se faire qu’après la dernière représentation. Les costumes doivent être retournés au Théâtre de l’Aquarium pour être nettoyés. Il en va de même pour les instruments de musique afin de s’assurer de leur stockage dans des conditions optimales pour leur bonne conservation. Pour ces trajets, l’équipe de production s’organise avec le transporteur Erima pour mutualiser ses venues à Paris avec d’autres tournées dont il a la responsabilité.

5. Réduction de l’impact environnemental de la phase d’utilisation

Soin et réparation facilités

L’ensemble des discussions entre le commanditaire et le constructeur a conduit à un renforcement du lien entre ceux-ci. Aussi la maintenance et les réparations devraient-elles bénéficier de l’investissement du constructeur dans la conception de ce modèle de châssis réemployable. À la date d’écriture du rapport, le constructeur a d’ores et déjà réalisé une deuxième version de ce modèle de châssis. Aucun engagement contractuel n'a toutefois été rédigé. Par ailleurs, l’ensemble des costumes est entretenu à la fin d’une série de représentation : nettoyage, reprise, réparation. Chaque costume, y compris lorsqu’il est composé de tissus teintés, peut être décousu, stocké et réemployé comme d’autres tissus. À partir de la saison 2023/2024, la production a fait le choix de financer un poste chargé de rapiécer les costumes après chaque représentation (mission couplée avec une mission de régie plateau). Cet investissement a été jugé déterminant pour assurer la pérennité des costumes, la quantité et la précision de travail n’étant pas absorbables par l’habilleur ou l’habilleuse des théâtres d’accueil.

Tri dans les espaces publics

Le tri 5 flux ainsi que le tri des bio-déchets est réalisé sur le site.

Sensibilisation des publics à notre démarche d'éco-responsabilité

Plusieurs pages du site internet, dont une page de niveau 2, sont dédiées à la démarche d'éco-responsabilité du théâtre et de la compagnie. Voir : https://www.theatredelaquarium.net/presentation/la-fabrication-responsable

6. Optimisation de la durée de vie du projet

Réutilisation ou réemploi internes sur plusieurs projets

Il est prévu que les usages suivants des châssis concernent d’autres productions de la compagnie la vie brève ou, à défaut, des productions d’équipes en résidence au Théâtre de l’Aquarium. Ainsi, les châssis sont-ils inclus aux éléments du répertoire de la compagnie.

Bilan

Bilan d'évaluation du projet

En matière d’émission de gaz à effet de serre (GES) sur la partie « Création », la confection des décors et des costumes constitue le poste principal :
● Décors et Costumes : 7485 KgCO2 (soit 74%)
● Hébergement : 1381 KgCO2 (soit 14%)
● Mobilité des équipes : 704 KgCO2 (soit 7%)
● Restauration des équipes : 533 KgCO2 (soit 5%)
● Fret : 44 KgCO2 (soit 0%)

Ceci s’explique par le choix stratégique fait, après considération des stocks de deux ressourceries, de s’approvisionner en matériaux neufs afin de réaliser une structure décorative destinée à de multiples usages et devant dès lors intégrer le répertoire des éléments structurels de la compagnie. 87% des éléments de décor et accessoires ont été achetés neufs. Près de 15% de ceux-ci passeront à l’état de déchet. Un chantier de travail sur l’évitement du passage du neuf au déchet en une production mérite d’être envisagé. Sur l’ensemble des décors et accessoires, l’indice de circularité est de 83% à 91%, avec 48 à 56,4% des éléments pouvant être réemployés.

En matière d’émission de gaz à effet de serre (GES) sur la partie « Tournée », l’hébergement constitue le poste principal :
● Hébergement : 1903 KgCO2 (soit 46%)
● Restauration : 917 KgCO2 (soit 22%)
● Mobilité des équipes : 764 KgCO2 (soit 18%)
● Fret : 580 KgCO2 (soit 14%)

En raison du choix de ne pas contraindre la démarche artistique, il n’est pas permis de commenter l’impact budgétaire des choix à impact environnemental positif. En effet, il n’y a pas eu d’évolution budgétaire et pas, à proprement parler, de choix à impact environnemental positif car les choix n’ont pas été faits pour cette raison seule. En outre, il a été démontré la difficulté qu’il y a à définir une unité fonctionnelle dans le contexte artistique qui est celui de la vie brève — Théâtre de l’Aquarium. Cela rend caduque toute analyse quantitative d’une scénographie, et a fortiori d’une production théâtrale, par l’approche dite en cycle de vie.

Ces données sont le fruit d'un collectage de données par le chef de projet et d'un traitement à travers les outils suivants : SEEDS (Arviva), Écoscéno et Materials Inventory (Theatre Green Book), parmi d'autres.

La mise en œuvre d’une démarche de conception et de fabrication responsables de Baùbo a eu pour conséquence de poursuivre la sensibilisation de l’équipe du théâtre aux enjeux d’éco-conception telle qu’amorcée par les autres volets du projet global de l’établissement. En positionnant un chef de projet comme cheville ouvrière entre la ressourcerie, l’atelier de fabrication et l’équipe artistique, la vie brève-Théâtre de l’Aquarium a conçu un rôle pilote apte à approfondir la maîtrise des enjeux d’éco-conception et, à moyen terme, apte à confirmer la pertinence des choix réalisés au long du cycle de vie du projet artistique. À son initiative, la production a également sensibilisé ses partenaires (constructeur, transporteur, directions techniques des lieux d’accueil), ce qui est de nature à diffuser des bonnes pratiques voire à structurer des pratiques conscientes de leurs impacts.

Réemploi à l'approvisionnement

13%

Réemploi à la fin du projet

50%