Théâtre de Caen

Philippe Delval

David et Jonathas

Le mot du comité écothèque

Véronique Chazal, scénographe et architecte, nous a présenté ce projet lors d'une réunion mensuelle de l'Augures Lab Scénogrrrraphie. Il nous a paru intéressant par sa résolution technique d'ossature en bois, ainsi que par l'optimisation de sa tournée et son suivi d'impact environnemental. Ce projet a exploré plusieurs scénarii techniques et a dû statuer en tenant compte des contraintes économiques, de temps et du souhait de réduire au maximum son impact environnemental.

Publié par Veronique Chazal le 13/11/2024, mis à jour le 08/01/2025


Type de projet

Domaine artistique

Arts vivants

Régions

Normandie

Description du projet

David et Jonathas est une tragédie biblique en cinq actes avec un prologue de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704).

Livret du père François de Paule Bretonneau (1660-1741)
Créé le 28 février 1688 au Collège Louis-le-Grand.

Les porteurs de projet ont eu la volonté d'inscrire David et Jonathas dans une démarche de scénographie écoconçue en amont du projet. Pour ce faire, l'équipe du Théâtre de Caen a été accompagnée pour permettre la sensibilisation de l'équipe de création, des ateliers de construction et des co-producteur·rices, mais aussi pour atteindre des objectifs concrets, quantifiables et qualifiables.

Sébastien Daucé direction musicale
Jean Bellorini mise en scène, et lumières
Wilfried N'Sondé livret théâtral
Véronique Chazal scénographie
Delphine Bradier collaboration artistique
Fanny Brouste costumes
Cécile Kretschmar maquillages, masques, coiffures et perruques
Bruno Jouvet accessoires
Léo Rossi-Roth son et vidéo
Olivier Allemagne assistant lumières

Avec
Petr Nekoranec David
Gwendoline Blondeel Jonathas
Jean-Christophe Lanièce Saül
Lucile Richardot La Pythonisse
Étienne Bazola Joabel
Alex Rosen Achis, L'Ombre de Samuel
Hélène Patarot La Reine des oubliés
Lysandre Châlon Un guerrier

Ensemble Correspondances
chœur et orchestre

Construction du décor Ateliers du TNP - Théâtre National Populaire de Villeurbanne

Confection des costumes Atelier costume du Théâtre de Caen

Production Théâtre de Caen
Coproduction principale Ensemble Correspondances
Coproduction Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Opéra national de Lorraine, Théâtre des Champs- Élysées, Opéra de Lille, Théâtre National Populaire de Villeurbanne

Les éléments principaux de la scénographie sont les suivants : un praticable surélevé incliné à 16%, un revêtement de sol "tourbe", une passerelle, deux tours de guidage, des pendrillons et des mannequins. Les décors et costumes ont été réalisés dans une démarche écoresponsable avec le soutien de l'ADEME et de la DRAC Normandie.

Photos

  • Assemblage bois

    Praticable en pente à 16%

    © Jacques Grison

  • Tours de guidage - Modules de 2m assemblables entre eux

    Tours de guidage - Modules de 2m assemblables entre eux

    © Jacques Grison

  • Sol de terre en tourbe encollé sur toile

    Sol de terre en tourbe encollé sur toile

    © Jacques Grison

  • Passerelle métallique - Combinaison d'éléments standards et de panneaux crapautés

    Passerelle métallique - Combinaison d'éléments standards et de panneaux crapautés

    © Jacques Grison

  • Groupe de mannequins, vêtements de seconde main pâtinés

    Groupe de mannequins, vêtements de seconde main pâtinés

    © Jacques Grison

Éco-responsabilité du projet

0 Concevoir ensemble
1 Sélection des matériaux ayant le moins d’impact
2 Réduction de la quantité de matière
3 Optimisation des techniques de production
4 Optimisation de la logistique
5 Réduction de l’impact environnemental de la phase d’utilisation
6 Optimisation de la durée de vie du projet
7 Optimisation de la fin de vie du projet

© studio dazd – Augures Lab Scénogrrrraphie, d'après la roue de Brezet

0

Concevoir ensemble

1

Sélection des matériaux ayant le moins d’impact

2

Réduction de la quantité de matière

3

Optimisation des techniques de production

4

Optimisation de la logistique

5

Réduction de l’impact environnemental de la phase d’utilisation

6

Optimisation de la durée de vie du projet

7

Optimisation de la fin de vie du projet

Qu’est-ce qu’une démarche d’écoconception ?

L’écoconception répond à un cadre strictement défini par une norme et dont l’objectif est “d’obtenir un produit ou un service qui répond à un besoin fonctionnel et dont l’impact environnemental a été réduit de façon significative” (Pôle Écoconception). S’inscrire dans une démarche d’écoconception est une manière de tendre vers cet objectif dans un cadre autonome, plus adaptable et accessible. Tous les projets référencés ne sont pas considérés comme “écoconçus” au sens de la norme, mais comme “inspirants” au sens de l’intérêt de la démarche pour réduire ses impacts à différentes étapes du cycle de vie.

Pourquoi la roue de l’écoconception ?

La roue de Brezet est un outil stratégique couramment utilisé pour construire et analyser une démarche d’écoconception : il s’agit de donner un cadre de pensée autour des impacts en amont, pendant l’usage et en aval d’un projet. Plus précisément : le cercle intérieur définit le cycle de vie du projet ; le cercle extérieur définit les stratégies d’écoconception à chacune de ces étapes du cycle de vie. Pour un axe stratégique, plusieurs actions peuvent être mises en place. Les projets référencés vous en présentent quelques-unes, pour inspiration et partage d’expérience.


Vous trouverez ci-dessous l’évaluation de ce projet selon l’approche Brezet, regroupant les différents critères pris en compte et leur explication pour chaque axe de l’approche.

0. Concevoir ensemble

Mobilisation des métiers

Dès le début du projet et avant même la première esquisse, l'organisation d'une réunion de sensibilisation a permis d'impliquer et de fédérer l'ensemble des métiers concernés autour des problématiques de l'écoconception. Cela inclut les équipes de création, les ateliers de construction, les équipes de production et l'ensemble des co-producteur·rices.

Sensibilisation des parties prenantes

Les porteurs de projet ont fait appel à un accompagnateur spécialisé en écoconception. Cette intervention extérieure a permis de mettre au point une méthodologie basée sur des objectifs à atteindre, avec des rendez-vous tout au long du projet. Une première phase a été dédiée à la sensibilisation autour des questions de cycle de vie, panorama d'actions concrètes, rappel des principaux enjeux et des leviers d'actions. Inclusion et valorisation des actions déjà mises en place par l'atelier de construction. La deuxième phase a commencé avec la remise d’une première maquette à toutes les parties prenantes pour identifier les ajustement à effectuer, commencer des évaluations et définir des critères. La troisième phase a été celle de l'évaluation et de la restitution, avec la comparaison entre les différents scénarios possibles, le bilan et la synthèse sur tous les éléments de décor et le trajet de la tournée.

Temps adapté à l'écoconception

Du temps a été débloqué pour permettre la recherche de matériaux, de produits, de techniques et de fournisseurs adaptés à la démarche d'éconception. Cela inclut par exemple du temps pour la recherche d'accessoires et la mise en place d'un système de mutualisation des moyens entre les théâtres coproducteurs. Des réunions entre les ateliers et la scénographe ont également eu lieu dans l'optique de trouver des solutions pour utiliser des matériaux standardisés et réemployables. Le temps a néanmoins manqué pour adopter l'ensemble des solutions et recommandations en matière d'écoconception. Les équipes du Théâtre National Populaire ont manqué de temps pour trouver des matériaux alternatifs (notamment pour les textiles, la colle et autres éléments de jonction), ou bien pour concevoir des mannequins monomatériaux. Leur fabrication aurait été plus chronophage que la solution choisie de l'assemblage - collage de matériaux de nature très différente. Le budget alloué à la fabrication des mannequins a également obligé l’accessoiriste à « faire au plus vite » et n'a pas laissé la place nécessaire à l'expérimentation.

Conscience des impacts

La construction de la scénographie a été optimisée pour respecter les choix artistiques tout en adoptant une démarche de réduction d'impact. Un travail de comparaison et d'étude d'impact a également été réalisé autour de la logistique (réduction du nombre de camions pour le transport). Les explications détaillées de ce processus sont à retrouver dans le rapport final (à télécharger en bas de cette fiche).

Renoncement

Plutôt qu’une structure métallique, les ateliers du TNP ont fait le choix d'une construction bois pour réaliser l’ossature du grand praticable. Cela a permis d’éviter l'émission de plus de 4 tonnes de CO2.

1. Sélection des matériaux ayant le moins d’impact

Matériaux/matériel issus du réemploi ou de la réutilisation

Costumes : réutilisation de costumes existants, utilisation de tissus de seconde main (88% des chaussures, 62% des costumes, 70% des accessoires)

Matériaux issus de ressources renouvelables

Pin massif d'origine scandinave Peuplier Dérivé de bambou pour la construction de certaines pièces d'assemblage Teinture végétale Tourbe

Matériaux recyclables

Bois Liège Pâte à papier Acier

2. Réduction de la quantité de matière

Réduction du poids et/ou du volume de matière

Plusieurs stratégies d'écoconception ont été combinées pour réduire le poids et le volume de matières. Premièrement : utilisation de matériel standard disponible à l'achat, à la location ou sur site. Deuxièmement : "greffe" d'éléments métalliques a minima pour assurer la structure et un habillage bois optimisé en poids qui s'appuie sur l'existant (pont porteur) pour alléger la structure. Troisièmement : recours à la commande numérique pour la construction des fermes et des panneaux bois : cela permet d'optimiser le calcul et l'usinage des pièces (moins de chutes et pièces moins lourdes). Enfin : construction des tours de guidage avec une structure métallique non porteuse, donc plus légère, fabriquée avec des tubes acier de section de 30x30 mm, ép. 2 mm.

3. Optimisation des techniques de production

Démontable

Praticable en bois : ossature en pin massif et panneau de CP peuplier réutilisables grâce à des assemblages réversibles. Passerelle : utilisation d'éléments standards, habillage bois avec assemblages réversibles. Tours de guidage : conçues comme des tours d'échafaudage, elles sont démontables, adaptables et réutilisables.

Réparable

L'ossature du praticable bois est facilement réparable, par des renforcements ou des reprises. Les éléments standards sont remplaçables et réparables. Les structures des tours sont composées uniquement de profils acier donc entièrement réparables.

Modulaire

L'ossature du praticable permet de monter différentes versions du plateau. Le nombre de fermes peut être modifié en largeur, permettant au décor de s'adapter à des lieux de 12 à 16m d'ouverture. La passerelle est elle aussi conçue pour pouvoir être modulable en termes d'ouverture, par section de 2 mètres. Les tours de guidage sont modulables en hauteur par section de 2 mètres.

Séparabilité des matériaux

Une fois démonté, l'ensemble des éléments est triable par matériau. L'ensemble des habillages bois est réalisé avec des assemblages réversibles type "crapaud" pour séparer les différentes familles de matériaux (bois, plexiglass, etc). Les tours sont gondées pour que chaque élément soit séparable, les planchers sont démontables. Le revêtement de sol est scratché au praticable donc réutilisable mais il ne respecte pas la séparabilité des matériaux. Il est composé de tourbe naturelle, de coton et de slastic (colle issue d’hydrocarbures), pour laquelle aucune alternative n’a été trouvée. De la même manière, les mannequins et les pendrillons ont été réalisés en collant diverses matières entre elles (non séparables).

Facilité de stockage

L'intégralité du décor est démontable en éléments plats (fermes, panneaux, rouleaux) optimisés pour le transport. La dimension des éléments permettent une optimisation du chargement dans un semi-remorque et du stockage dans des containers.

Réduction des chutes de production

Pour tous les ouvrages en bois, l'utilisation de la commande numérique a permis une optimisation des chutes de production et une réutilisation des chutes en mouchoirs. Le calibrage est effectué sur place avec une raboteuse 4 faces : les copeaux ont été aspirés puis valorisés en bûches compressées.

4. Optimisation de la logistique

Transport optimisé

L'ensemble des éléments de la production (lumières, costumes, décors) rentre dans deux semi-remorques et un utilitaire de 20m3. Le trajet et les dates de tournées ont fait l'objet d'une réflexion : lieux de stockage intermédiaires pour réduire le nombre de kilomètres parcourus, transport des équipes en train, etc. A noter : Premièrement, la difficulté de trouver des locaux disponibles pour le stockage intermédiaire a empêché à la tournée d'adopter le scénario le plus écologique. Deuxièmement, les 4427 km parcourus par les deux poids lourds et l'utilitaire de 20m3 ont rejeté au total 11,28 tonnes de CO2, soit plus de 2 fois les émissions économisées grâce à l’ossature bois.

Déplacement des artistes optimisé

Accès à vélo et à pieds au théâtre depuis les logements des équipes. Efforts entrepris pour privilégier les déplacements en train, réduire la durée de la création à 8 semaines, et limiter les déplacements pendant le temps de création à 2 allers-retours par personne (avec plus de nuits sur place). Pour les musiciens, 86% des trajets effectués en train, 14% en voiture individuelle. Pour les choristes, 83 % des déplacements effectués en train, 9 % en covoiturage, 4% en voiture individuelle et 4 % avion. Pour les solistes, 67 % des déplacements effectués en train, 17 % en voiture individuelle et 17 % avion.

Emballage séparable et triable

Chaque élément fragile du décor est emballé dans une caisse de stockage en bois réutilisable ou triable, afin de limiter l'utilisation de bullpack.

5. Réduction de l’impact environnemental de la phase d’utilisation

Projet sans consommable

Le spectacle n'utilise pas de consommables. Tous les accessoires sont réutilisés d'une représentation sur l'autre.

Soin et réparation facilités

L'utilisation d'éléments standards permet de les remplacer facilement en cas de problème. Les mannequins peuvent aussi être réparés par les habilleur·euses, le chœur ou encore les régisseur·euses de scène.

Sensibilisation des publics aux modes de transports

L'ensemble des co-producteur·rices mène des actions de sensibilisation des publics sur les modes de transport et l'accès dans leur théâtre.

Tri dans les espaces publics

Mise en place de poubelles de tri dans l'ensemble des lieux qui ont accueilli le spectacle.

Sensibilisation des publics à notre démarche d'éco-responsabilité

Rencontre avec les partenaires locaux (Lycée, Conservatoire, École des Beaux Arts), sensibilisation des publics (programme en salle, site internet) et diffusion des résultats de la démarche auprès des réseaux professionnels.

6. Optimisation de la durée de vie du projet

Réemploi ou réutilisation anticipés

Possibilité de réemploi ou réutilisation d'une grande majorité des éléments à l'issue du déclassement de la production après 5 ans.

Réutilisation ou réemploi internes sur plusieurs projets

L'objectif pour l'équipe de création est de récupérer les éléments du décor afin de compléter leur stock. Le metteur en scène et la scénographe réutilisent régulièrement des éléments d'anciens décors dans leur nouvelle production. Plus qu'un parti pris, le réemploi fait partie de la source créative de leurs projets.

Bilan

Bilan d'évaluation du projet

Cette expérience d'écoconception a amené l'ensemble de l'équipe vers une évolution des processus de travail et de production. Elle a donné lieu à des stratégies de réduction d'impact intéressantes pour une scénographie de cette envergure. L'analyse de cette expérience a également permis d'identifier des axes d'amélioration et de soulever des questions encore en suspens.

Les freins identifiés sont les suivants :
- Cahier des charges : aucun cahier des charges contenant les contraintes liées à la démarche d'écoconception (transport, stockage, etc) n'a été fourni en amont à l'équipe de création.
- Sourcing : la recherche de matériaux est fastidieuse et prend du temps.
- Évaluation : la réduction de l'impact environnemental du projet s'est faite en comparant plusieurs scénarii. Par exemple, comparer le bilan carbone d'une ossature en bois et celle d'une ossature métallique. Ce processus permet de valoriser la démarche d'écoconception mais il nécessite de disposer de données chiffrées et précises, de compétences en matière de calcul d'impacts et de beaucoup de temps.
- Notion de propriété : des difficultés ont été rencontrées dans le réemploi de certains éléments, notamment pour une sculpture de cheval. La réutilisation de cette sculpture dans la pièce a posé la question de la propriété et du "détournement" d'une œuvre déjà existante.
- Règle des 5 ans dans les contrats de production : le décor de David et Jonathas est actuellement dans l'obligation d'être stocké sur une période de 5 ans avant de pouvoir être déclassé et réemployé dans une autre production. Cette règle existe afin que l'un·e des coproducteur·rices puisse reprogrammer le spectacle dans ce laps de temps. Dans le cadre des opéras, il est cependant très rare qu'un spectacle soit reprogrammé une fois sa tournée terminée. En plus d'empêcher le réemploi direct des éléments dans d'autres productions, le stockage peut abimer les éléments (froid, humidité, températures non-contrôlées) et donc limiter leur réemploi à l'issue des 5 ans.

Les leviers identifiés sont les suivants :
- Mutualisation : un inventaire commun a été créé pour répertorier l'ensemble des outils, du matériel, des accessoires et autres éléments mutualisables.
- Inventaire : nécessité de réaliser dans chaque institution un inventaire du matériel, des accessoires et des éléments de décor disponibles, et d'avoir une personne dédiée à la gestion de cet inventaire.
- Mobilisation des équipes : la mobilisation autour du projet et l'implication de l'ensemble des acteur·rices nécessite une communication régulière et une vision constante du matériel disponible.
- Machine et outillage : un savoir-faire traditionnel, associé aux outils numériques, peut grandement optimiser la construction, réduire les chutes, et augmenter le réemploi de la matière première, tout en améliorant les conditions de travail (réduction du bruit, charges et manutention).
- Valorisation : nécessité de comptabiliser le temps de travail dédié à l'écoconception pour valoriser la démarche, entre autres financièrement.